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18 Aug
18Aug



C'est l'heure du retour du ragû,  petit nom que nous donnons entre nous au wagon-restaurant. La séquence de ripaille se termine sur un ristretto serré et noir comme de l’encre. Le wagon s’est vidé de ses derniers clients pendant notre partie de Yam et j’y ai perdu mes dernières lires. Les estomacs sont à présent rassasiés, les calories solides du risotto ai funghi vont nous tenir pour la nuit qui s’annonce. La voiture-restaurant éteint ses feux pour enfin s'endormir, le personnel de la cuisine roulante va tendre ses hamacs dans les travers et prendre un court temps de repos bien mérité. Nous quittons nos tables en escouade et en file indienne, abandonnant avec regrets le lieu de notre dîner. Le valpolicella a fait son œuvre, les cravates sont savamment défaites et les mines fatiguées sont joyeuses. Le Rome-Paris aborde Pise avec un retard conséquent, les pluies torrentielles de la semaine passée perturbent le passage des trains sur un tronçon de circulation fragilisée. Cela nous laisse un temps salutaire avant les douanes à venir. Nous glissons à présent de voiture en voiture, passant de soufflets en couloirs, un bras en avant, le carré en main pour se donner de la contenance et de l’autorité. 


Nous slalomons avec habileté entre les derniers quidams qui se pâment dans les couloirs d'un soleil couché virant au pourpre derrière l’horizon. Nos enjambées au pied aérien et presque marin sont ajustées aux mouvements du staccato des aiguillages et des imperfections du rail. 


Tels des danseurs nous remontons en direction de la partie de la rame équipée de nos voiture-lits huppée. Nous rejoignons ces clients voyageurs et nos pénates ferroviaires pour le reste de la nuit. Nous  laissons derrière nous les forçats de la couchette en queue de train. Nous moquons leur inconfort même si l’ambiance nocturne y est plus dense et vivante. C’est encore l’éternel débat : couchette ou voiture lit ? Rencontres ou pourboires ? Aventures ou confort ?...A l'avant, à nous la marketerie des MU Fiat, la moquette rouge, le luxe douillet de leurs cabines confortables. Il reste du prosecco de la veille dans la glacière d’une antique et robuste Brissonneau rentrant HLP.  Un double single y sera ouvert pour l'occasion. Si les passagers sont bien endormis et le vin suffisamment frais, dans le giron de cette suite immense de 8m2 nous referons le monde en étanchant nos soifs à l’abri des regards. Nous arroserons nos conversations passionnées jusqu’au bout le nuit, jusqu'à l’heure des voleurs et des aigrefins en tenues sombres. Pour cette soirée qui s'annonce, le mousseux du Frioul ne suffira probablement pas. L'ambiance sera sans doute excellente, d’autres bouteilles suivront car nos jeunes foies sont solides et nous aimons l'ivresse avec arrogance. En progressant nous constatons que la chaleur tombe enfin. Le soleil harassant est parti enfin en pause nocturne. Quelques fenêtres sont encore ouvertes sur l’air rafraichit. Cette ventilation naturelle est bienvenue, aidant les climatisations laborieuses ou en panne à baisser la température estivale engluée dans les cabines depuis les garages romains.  Au passage enfin de ma voiture T2 et  dont l'ensemble de ma clientèle semble maintenant endormie, seule l'inconnue du compartiment 6 parait reprendre vie dans l’air humide devenu supportable. Elle est seule dans ce couloir déserté, les mains à la barre de la fenêtre les yeux dans le pourpre du couchant. Elle tourne la tête. Nos regards de croisent à nouveau furtivement, comme deux heures plus tôt, au moment de mon départ.


 L'oeillade se fait cette fois insistante mais sans plus d’information sur la finalité de l’échange. S’agit-il d’un signal, d’une invitation, d’une simple curiosité ? Ses yeux en amande de probable eurasienne me paraissent aussi mystérieux que son étrange et étonnant double passeport. L'intrigant document a été froissée de mille mains,  est emplit de visas parfois artistiques issus des 5 continents et sur  quelques années seulement. Cinq heures plus tôt lors de l’embarquement  j'ai renoncé au comptage de toutes ces destinations inhabituelles. Toutes les pages sont maculées de tampons douaniers serrés les uns aux autres tel un savant puzzle de mystères géographiques. Pourtant vêtue simplement d’un jean et d’un tee shirt, la demoiselle plutôt grande et mince est à coup sûr une voyageuse de haut vol, celle de la caste internationale des voyageurs rompue aux aéroports et aux halls des gares de toute la planète. Mais pour ma part, je suis un agent anonyme de la compagnie des wagons lits appartenant  a l'autre caste , celle du grand larbinat ferroviaire et du service itinérant. Deux mondes nous séparent dans ces quelques mètres carrés. Je tente une approche.









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